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7ème halte : l'Arbre de vie


Tout le monde devrait avoir son Moringa oleifera. Cet arbre originaire du Nord de l’Inde et du Sri-lanka possède mille vertus qui l’ont rendu célèbre dans des domaines aussi divers que l’alimentation et la pâte à papier, la médecine et la cosmétique ou encore dans le traitement de l’eau et comme agrocarburant. Le Moringa est un symbole de vie. C’est une unité qui rayonne par la richesse, l’équilibre, la diversité et la complémentarité de chacune de ses parties. C’est pourquoi il serait sain que chacun trouve son Moringa et c’est ce qui nous est arrivé avec l'Arbre de Vie.

Dimanche 22 avril, aux environs de 17h


Nous roulions en silence depuis le site des forges de Moisdon-la-rivière et son cours d’eau près duquel nous avions passé la nuit. Mon regard était happé par le paysage qui déroulait ses formes à travers la fenêtre. Je me concentrais pour tenter de reconnaître la route. Nous l’avions déjà empruntée une semaine plus tôt lors d’un diner organisé entre les membres de l’écohameau du Ruisseau et ceux de l’Arbre de vie. J’avais alors enregistré, ça et là, des repères visuels dans l’espoir de me constituer une carte mentale et ainsi éviter d’utiliser le GPS. Notre dépendance à cet outil technologique m’est parfois insupportable. Je reconnus le croisement en pattes d’oie menant à la Garenne et un frisson d’excitation me parcourut, nous y étions presque. Il faut dire que nous avions été très impressionné par cet écolieu lors de notre première visite. Fondé à peine trois ans auparavant par de jeunes adultes de notre génération, il rayonnait déjà par l’abondance de son jardin et par l’ingéniosité de ses membres. Nous étions impatients d’en apprendre davantage.

Nous nous sommes engagés dans une voie qui traverse une ferme, à droite une étable s’étale sur plusieurs dizaines de mètres jusqu’au champ de pâturage et, de l’autre côté, plusieurs habitations se superposent. En tournant sur la gauche, nous avons reconnu l’allée avec ses deux sapins, l’if et le cèdre qui marquent l’entrée dans l’écolieu. Après avoir garé le camion, nous nous sommes dirigés vers la maison. Dans la cour régnait un calme qui nous sembla inhabituel comparé au dynamisme dont nous avions été les témoins la semaine passée. Néanmoins, notre attention fut attirée par de l’agitation à quelques mètres devant nous. Quatre personnes discutaient gaiement au bord de la route qui sépare le terrain en deux. Nous les avons rejoint pour nous annoncer et demander où nous pouvions installer notre maison sur roues. Sur leurs conseils nous avons déplacé le camion dans la partie haute du terrain, au-dessus de la route, le coin des fourgons aménagés. Deux autres camions y étaient déjà établis, l’un appartient à Kat, l’une des douze membres de l’Arbre de vie, et l’autre à Deech, un volontaire hollandais quasi-permanent qui n’a pas de permis de conduire. Au centre de cette aire improvisée, un merisier soutient un hamac et apporte son ombre à un salon d’extérieur dont les sofas sont en palettes et la table basse en bobine de chantier. L’humeur est festive et François se joint aux joyeux lurons pour faire plus ample connaissance. Quant à moi, je prends mes marques avec distance en observant le petit groupe depuis le seuil de la porte latérale de notre camion. Assise en tailleur, je sors mon carnet et mon stylo pour me replonger dans un texte en cours d’écriture. Puis, il me prend l’envie subite d’attraper mon appareil pour fixer ce moment de notre arrivée, annonciateur des jours radieux à venir.


Mathilde



Lundi 23 avril, 10h34

Te décrire l’arbre de vie ?

Je ne saurais par où commencer.

Par contre, ce qui me vient à l’esprit, c’est le rapport au travail. Ce n’est pourtant pas ce qui manque lorsque tu te lances dans une telle aventure, mais le travail à l’arbre de vie ne passe jamais avant l’humain. Cette conception, remise en question formelle, est tellement importante qu’on en vient même à reconfigurer le nom à employer. Depuis, je lui préfère des termes tels qu’échange, activité ou découverte. Qui plus est, personne n’est à proprement parler forcé à travailler à l’arbre de vie. C’est grâce à la volonté de chacun que les tâches s’accomplissent, vecteur bien plus efficace que l’obligation ; la Garenne en est le parfait exemple.

Les temps de travail s’effectuent autour de thèmes tels que jardinage, le bricolage ou l'aménagement du lieu. Chaque personne choisit l’activité qu’elle va réaliser au cours de la journée en fonction de ses envies et des priorités. Des équipes sont ainsi formées autour des thématiques, rendant l’accomplissement des tâches bien plus agréable et favorisant aussi la transmission de savoir.

Que l’on ait décidé de consacrer ou non sa journée au projet, l’opportunité d’en discuter tous ensemble nous est offerte lors de la météo intérieure. Chaque matin, le collectif se rassemble avant de commencer la journée, afin de faire un tour d’horizon des personnes présentes pour que celles-ci puissent exprimer leur état d’âme, leurs envies ou tout ce qu’ils souhaitent partager avec le groupe.

La nécessité de ces moments, dont j’étais dubitatif de prime abord, s’avère essentielle pour le bien-être de tous. S’exprimer langues déliées face aux personnes que l’on côtoie au quotidien a pour effet de prévenir toute situation qui pourrait être davantage désagréable si celle-ci n’est pas mise à nue.

FX

Mercredi 25 avril, la journée

Ce matin, à la météo intérieure, je communique aux autres mon envie de m’immerger dans le jardin. Je veux observer son fonctionnement, contempler ses trésors et m’y activer toute la journée. Je sens qu’ici tout est abordé avec bon sens, logique et respect. Les différents jardins que j’ai côtoyés tout au long de notre voyage ont complètement modifié mon approche du jardinage. À mes oreilles, le jardin sonne comme un espace d’expérimentation, une école par la pratique. On y apprend à « donner naissance » à des êtres vivants et à les accompagner dans leur développement le tout en se laissant guider par la nature elle-même. Réaliser un jardin est un acte incroyable pour préserver l’environnement, favoriser la biodiversité tout en prenant soin de son corps en lui procurant des fruits et légumes sains. J’ai aussi découvert le jardin dans ses potentialités méditatives. Au jardin, je peux tout autant être profondément plongée dans mes réflexions, remettre en question mes égarements récents comme reprendre une idée et la façonner jusqu’à, pourquoi pas, lui donner corps ultérieurement. Le jardin est un haut lieu de la rencontre humaine. On écoute le récit des uns, les histoires des autres en désherbant ou en repiquant des plants. C’est aussi un espace propice à la méditation en pleine conscience. Plusieurs fois, il m’est arrivé d’éteindre mon mental et de me centrer sur mes sensations physiques. Je me mets alors à jouer avec mes sens. J’écoute les bruits environnants, du plus infime bourdonnement au plus imposant cri animal. Je perçois intensément la texture des herbes que mes doigts empoignent. Je discerne les multiples odeurs que les fleurs dégagent fièrement. Je me penche pour cueillir de jeunes pousses ici ou là et les porter à ma bouche en un festin frugal mais savoureux. Je scrute la farouche nature qui prolifère et s’épanouit en un cycle bien orchestré.

Mathilde

Mercredi 25 avril, en fin d'après-midi


Lorsque nous sommes dans un lieu, je ne consacre que rarement du temps pour travailler dans le jardin. Mais là, je devais y passer, ne serait-ce qu’une journée en compagnie d’un amoureux des plantes comme j’en ai rarement rencontré. Sa passion est telle qu’il m’est apparu semblable à une source de savoir intarissable en la matière. Pour couronner le tout, c’est dans la joie et la bonne humeur qu’Aurélien transmet ses connaissances.

J’en ai d’ailleurs été la victime pendant une belle matinée passée à ses côtés alors que j’avais rejoint l’équipe jardinage. Nous nous sommes donc lancés, rejoints par Julie, dans le désherbage, la plantation et le paillage d’une bande de terre d’une trentaine de mètres, jouxtant un grillage qui fera office de tuteur pour des plants de tomates. C’est avec une simplicité enfantine que nous avons réalisé cette série d’opérations qui, dans d’autres conditions, peuvent s’avérer laborieuses. En effet, la terre ayant été préparée au préalable par les soins d’Aurélien, elle était particulièrement meuble et agréable à travailler.

Par la suite, je me suis également joint à l’équipe jardinage lors de parenthèses d’une heure au cours desquelles nous avons repiqués des plants de salades dans des bacs à semis. Travail des plus méticuleux certes, mais propice à de longues conversations voire même un apéro improvisé avec le reste du groupe nous ayant rejoint.

FX

Jeudi 26 avril, vers 21h


Vanessa nous conduit en voiture vers la salle communale de Maumusson où, chaque semaine, elle propose aux membres du collectif des séances de Communication Non Violente (CNV) et de Shiatsu. Ce soir, cette voisine adhérente à l’Arbre de vie va nous enseigner la pratique du DO-IN.


Issue de la médecine traditionnelle chinoise, le Shiatsu est une technique de massothérapie qui consiste à effectuer des pressions sur des points du corps pour y ramener l’équilibre. Bien que l’expression DO-IN soit japonaise – et corresponde à l’idée d’extension, il s’agit d’une technique qui nous vient de Chine centrale où elle était appelée TAO-INN. TAO veut dire « conduire, diriger ». IN signifie « assimiler, recevoir, se laisser conduire ». Le DO-IN est un moyen de mieux se connaître par une technique spécifique qui permet de vivre en meilleure harmonie avec ses semblables. C’est un art de vivre caractérisé par une attitude de recherche assidue en vue d’apprendre à se comprendre soi-même et l’univers. Dans l’ancienne Chine, les membres d’une même famille pratiquaient cette technique au quotidien en se réunissant à l’aube et favorisaient ainsi la circulation de l’énergie QI ou CH’I dans leur corps qu’ils investissaient ensuite dans les diverses tâches de la journée.


Que ce soit en couple ou en collectif, vivre à plusieurs comporte son lot de difficultés. Pour éviter l’écueil et améliorer leurs relations, les lapins de la Garenne ont décidé de faire appel à une personne extérieure pour les aider dans leur quête d’harmonie. Étant personnellement en plein questionnement, j’ai tout de suite souhaité me joindre à eux pour expérimenter cette technique. Elle consiste à frotter, palper ou tapoter des parties bien précises du corps renfermant l’énergie QI. Ça commence par les mains, remonte par les bras et, en passant par la tête, on poursuit son voyage corporel jusqu’aux orteils. Là où c’est douloureux, il faut insister et répéter le toucher jusqu’à soulager le corps. Ce qui m’a paru complexe dans cette technique c’est de retenir tous les points du corps à travailler ainsi, comme tout exercice, l’apprentissage passe par une pratique régulière.

À la fin de la séance, Vanessa s’est saisie d’un paquet de cartes qu’elle nous a présenté en éventail en nous invitant à en tirer une. J’ai choisi d’« apprécier » et de « célébrer la vie ».

Samedi 28 avril, vers 11h

On discute à nouveau toi et moi de la façon dont ce lieu fonctionne en abordant le travail et l’argent sous un autre rapport. Chaque membre a – ou cherche à occuper – une activité rémunératrice pour financer directement le projet et le coût de la vie sur place tout en dégageant un surplus personnel. De cette manière, tous ensemble, ils tentent de s’extraire d’un système où l’argent est fourni en échange d’un travail chronophage. Ils considèrent plutôt l’argent comme un outil au même titre qu’un marteau ou une scie. Pour réduire l’importance de l’argent dans son quotidien, une des solutions est d'acquérir une autonomie globale. Durant les deux premières années, le collectif s’est appliqué à atteindre une autonomie alimentaire grâce à l’activité de maraîchage. Aujourd’hui c’est chose faite. Tout en prenant soin de la terre avec des cultures saines, ils apportent à leur corps tous les bienfaits de fruits et de légumes biologiques. Sans oublier les délicieux œufs des poules qui vivent dans un luxueux poulailler en terre-paille avec un vaste espace pour se distraire et chercher les vers de terre.

Par ailleurs, pour effectuer leurs différents chantiers, ils tentent de récupérer les matériaux dont ils ont besoin avant qu’ils n’atterrissent à la déchetterie ou bien ils inventent à partir de ce qu’ils ont déjà récupéré. Et quand la matière première – l’argile – se trouve directement dans le sol de leur terrain, ils ne s’en privent pas.

Désormais, ils visent l’autonomie énergétique. En avril 2017, ils ont construit des toilettes sèches et, cette année, la fabrication de panneaux chauffe-eau solaire est en cours. Ils cogitent également sur l’installation d’un système de récupération d’eau pluviale.

Finalement, ce qui est attirant dans ce processus d’autonomisation, c’est bien la possibilité d’exprimer sa créativité dans le sens de « donner corps à ». En faisant par soi-même on valorise sa raison d’être individuelle au sein du collectif. L’Arbre de vie est un lieu d’imagination de soi. C’est un écolieu habité par une nouvelle génération de chercheurs d’autonomie qui ont une dynamique de transition progressive, douce, dans l’expérimentation.

Mathilde

Samedi 28 avril, vers 11h48


La folie de ce lieu pourrait se résumer en ces quelques mots : tu souhaites expérimenter ? Peu importe le domaine ou la difficulté, n’attends pas et lance-toi. Et cela leur réussit. Chaque projet qu’ils entreprennent a son lot d’obstacles, c’est vrai, mais ceux-ci sont très vite franchis et pour des raisons qu’eux-mêmes ne sauraient expliquer. Je pourrais citer pour exemple celui de la cave, chantier en cours de réalisation, interrompu par manque de pierres. A 500 mètres de là, un voisin a débuté un chantier nécessitant de creuser un trou de 3 mètres de profondeur, révélant la présence d'une ancienne carrière de pierres qu'il leur proposa de récupérer gratuitement. Je pourrais tout autant parler de la forge, qu’un membre voulait mettre en place afin de poursuivre sa pratique. Un voisin proche souhaitait se débarrasser de la sienne et leur a donc offert, avec tout l’attirail nécessaire.

C’est ainsi que je me suis retrouvé, par un après-midi, marteau à la main, frappant le fer rougi sur une enclume. Dès le premier coup, j’ai été traversé par un sentiment de liberté créative face à la réaction du matériau, prenant ainsi le pas sur l’appréhension.

Afin d’étirer le clou auquel j’offrais un second destin, je commençais par lui donner une forme carrée sur toute sa longueur. A la fin de cette opération, ce dernier était plus grand d’une dizaine de centimètres ; la sculpture pouvait alors commencer.

Mon imagination mêlée à ma technique juvénile me poussèrent dans les bras de la simplicité, un serpent.

FX

Jeudi 3 mai, entre midi et deux

Dire que ce lieu est merveilleux, inspirant, parfait et sans imperfections serait se mentir et, au fond, cela le rendrait ennuyeux. Alors oui, parfois, l’organisation peut être inégale concernant le planning des tâches journalières. Celui-ci n’est pas toujours rempli assidûment et cela impacte souvent les repas – qui cuisine aujourd’hui ? Il est déjà midi passé. Oui, il arrive que des informations ne soient pas clairement transmises par le porteur d’un projet et l’on reste dans un flou qui complexifie la réalisation de l’action à mener. Et certes, certains cherchent encore leur place au sein du collectif créant quelquefois des frustrations sources de contrariété. Mais tous ces petits couacs organisationnels ne sont-ils pas dérisoires face aux richesses que cet endroit offre par ailleurs ? N’est-ce-pas le lot de tout organisme vivant que d’affronter des obstacles et d’en sortir renforcé une fois surmontés ? Le collectif de l’Arbre de vie est à l’image d’une graine fraîchement semée. Au cours de son développement, cette dernière rencontrera bien des aléas. Pourtant, c’est parce qu’elle appartient à un tout qu’elle deviendra la plante épanouie que la nature lui promet. Ce sont les arbres autour d’elle qui briseront les vents menaçants et distribueront l’eau ; les feuilles des végétaux voisins qui la protègeront des rayons goguenards du soleil. Et lorsqu’elle sera prête, à son tour elle offrira les fruits de son dur labeur aux créatures avoisinantes. Puis, quand son crépuscule débutera, elle aura préparé un précieux paquet gorgé des germes de sa descendance que les insectes pollinisateurs et le vent s’activeront à disséminer pour qu’éclosent des centaines de lendemains prometteurs.

Au sein du collectif, les membres se complètent et s’entraident. Ils progressent ensemble, main dans la main, en s’apportant écoute, respect, tendresse, stimulation et gaîté. Au fur et à mesure de sa mise en place, le projet partage ses trésors avec de nombreux adhérents et ouvre ses portes à une ribambelle de volontaires. Et lorsque le moment sera venu, l’Arbre de vie deviendra également un tremplin pour qu’adviennent de nouveaux éco-projets. Et cette organisation solidaire d’individus à une échelle locale nous paraît avoir beaucoup d’impact sur une évolution des comportements humains. Davantage que le changement « par le haut », à un degré national qui présente trop de complexité et donc trop de lenteur. Les transformations écologiques sont propres à chaque lieu et répondent à des besoins façonnés par un territoire donné. Elles sont à mettre en œuvre à partir d’un désir d’agir local car le gouvernement central et ses représentants en régions n’éprouvent pas les spécificités de chaque situation. Il en revient ensuite à ces regroupements d’individus de partager le fruit de leurs expériences écologiques avec les élus de leur commune afin de réfléchir puis d’accomplir ensemble en élargissant toujours plus le cercle d’action.

Mathilde

Dimanche 6 mai, dans la soirée


Et nous voilà déjà au bout de notre deuxième semaine passée auprès des lapins de la Garenne. Nous pensions partir durant le week-end mais nous décidons de repousser notre départ pour le mercredi 9 mai. Tout de même, la date finale du séjour arrive (trop) vite.

À l’approche de cette fin, nous avons envie de revenir sur la manière dont ils en sont arrivés à ce projet de vie. Nous ne commencerons ni par la fin, ni par le début mais en plein milieu, en partant du témoignage de l’une d’entre eux.


Florence. Petite brunette à boucles retombant doucement sur la peau de son visage tacheté de rousseur. Un sourire lumineux qui fait pétiller ses yeux et vient se loger en vous comme un cadeau. Un sourire qui laisse échapper un rire communicatif. Le lendemain matin de notre arrivée, elle me propose de l’accompagner faire des courses pour remplir un peu les étagères et le frigo. J’accepte et elle me tend les clés de sa voiture. La route file à vive allure dans sa petite Peugeot 106 où les livres tapissent l’espace, du sol aux banquettes arrière. Elle me questionne sur notre écotour en Europe et je découvre qu’elle a réalisé un voyage similaire en France un an auparavant. Alors je lui demande ce qui l’a poussé à chercher des alternatives de vie. Elle me raconte ses études d’ingénieur et sa carrière à Paris, puis en Chine où elle a vécu plusieurs années avant de retourner travailler en France. C’est son dernier boulot qui a provoqué le déclic. Confrontée à une patronne tyrannique qui la rabaissait en permanence, elle décide de tout quitter. Elle fait ses valises et achète sa « titine » qui la transporte d’écolieux en écolieux. Son idée est de s’imprégner d’éco-projets dans le but d’en fonder un à son tour ou, dans le cas où elle aurait un coup de cœur, de s’installer au sein d’un projet existant. Et c’est ainsi qu’elle a atterri à l’Arbre de vie comme volontaire en février 2017. Puis, elle poursuit sa route quelques mois durant mais se rend vite compte que c’est à la Garenne qu’elle veut poser ses valises. Aujourd’hui, elle vit au sein du collectif qui a bien évolué depuis la création du projet en octobre 2015.


Si on remonte au tout début de l’histoire, on trouve un couple – Aurel et Alex – habitants d’une vieille maison de pierres et d’ardoises et défenseurs d’un projet associatif respectueux de l’humain et de la nature, basé sur le partage et l’autonomie alimentaire, énergétique et financière. Deux jeunes hommes déjà lassés des conditions dans lesquelles on leur impose d’exercer leur travail et dégoûtés par les non-sens de l’engrenage capitaliste. Aurel est horticulteur pépiniériste de formation et Alex travaillait comme conducteur de travaux. Tous deux désiraient mettre de l’humain, de la nature et du bon-sens dans leur activité. À eux deux, entre maraîchage et construction, ils représentaient un solide socle pour amorcer un écolieu. Très vite, ils rencontrent Jessica, Alexandre, Julie et Olivier – deux couples qui partagent leurs valeurs et leur volonté de vivre autrement. Ensemble, ils décident de développer un lieu de vie collectif et permaculturel. Entre-temps, Kat et Jimmy les rejoignent et collaborent à la création de deux associations. L’une pour développer des activités en lien avec la nature et la recherche d’autonomie, l’autre pour gérer leur vie collective. L’année dernière, Florence, Nina et ses deux enfants aménagent à la Garenne. Aujourd’hui, le collectif est composé de douze personnes qui œuvrent chaque jour au développement de cet oasis. Ce lieu de vie et d’activités accueille tout un chacun dans la bienveillance et l’absence de jugement. On y est libre de développer son propre éco-projet, dans le partage et la transmission.


Mathilde & FX



Mercredi 9 mai, aux alentours de 10h

Nous ne faisons que reporter encore et encore le départ et c’est à présent en heures que nous décalons le moment fatidique. Des choses ont besoin d’être achevées avant. Pour ma part, il s’agit d’un cadeau. Un soir, après le repas, Alex s’est approché et m’a fait part d’une envie. Ils ont un album de photos qui mémorise la progression de leur aventure. Ce serait amusant que je reprenne ces photos aujourd’hui afin que l’on puisse constater le passage du temps. Un avant/après en quelque sorte. L’idée me plaît beaucoup et, après y avoir réfléchi, je leur propose de se replonger dans les images de cet album et d’en choisir une chacun. Puis, je vais les voir un par un pour que l’on prenne une nouvelle photo. Ils peuvent choisir de poser dans l’image que je cadre au plus près de l’originale. Une fois l’instant saisi, je leur demande pourquoi ils ont choisi cette photo et si un mot leur vient à l’esprit lorsqu’ils regardent l’originale et la réalité actuelle. Puis, je leur réclame une anecdote liée à l’image ou au moment de sa prise de vue. J’ai ensuite écrit un texte pour chacun, à partir de ce qu’ils m’ont raconté. Une fois les photographies développées, j’ai copié au verso le texte correspondant et j’ai glissé chaque photo derrière son original dans l’album, leur laissant la surprise de découvrir leur contenu après notre départ.

Mathilde

En travaillant auprès d’Aurélien – le maraîcher de l’Arbre de vie – on a compris combien le jardin peut refléter nos travers humains : le désir de contrôle et de domination. Par exemple, lorsqu’on travaille la terre en la labourant et que l’on cultive les plantes en surface, on gaspille beaucoup d’eau car cette dernière reste en hauteur. Or, les plantes s’adaptent à leur milieu donc leurs racines ne se développent pas en profondeur mais s’étalent horizontalement. Elles nécessitent alors un entretien constant du fait que l’eau en surface s’évapore davantage. L’homme créé donc ses propres dépendances et ses propres contraintes. Le truc à l’Arbre de vie c’est qu’Aurélien – et il le clame lui-même – est paresseux. Il n’a de cesse de chercher des astuces pour rendre son activité la plus agréable possible.

Parmi la multitude de méthodes qu’il a testées, voici celles qui ont retenu notre attention.


Les apports organiques :

À l’Arbre de vie on cherche toujours à associer plusieurs fonctions pour un même élément et plusieurs ressources pour répondre à une fonction. Issu de l’éthique permaculturelle, ce principe est appliqué dans la fabrication d’engrais naturels. Ici, le compost sert tout autant à enrichir la terre qu’à chauffer la serre. Cette dernière méthode est appelée « couche chaude » et consiste à mélanger des déchets végétaux en grande quantité pour chauffer un espace de culture avec l'énergie issue de leur décomposition. Dans la plus petite de leur serre, ils ont mis ce système de chauffage naturel en place qui fait le bonheur des plants de tomates. Au démarrage et durant les 10 premiers jours, le processus de fermentation du compost dégage une chaleur intense – jusqu’à 70°C en fonction de sa composition et du climat. Ensuite, la température atteint une moyenne de 20°-25°C, idéale pour faire les semis ou planter directement dans la couche. Cette température se maintient pendant un mois puis redescend ensuite à 15°-20°C.

Par ailleurs, pour obtenir de l’engrais ils se tournent non seulement vers la technique du compost mais également vers les excréments des animaux, notamment des poules. Pour optimiser la récupération de la matière fécale, le poulailler a été réaménagé après un temps d’observation, juste assez long pour remarquer que les poules empruntent toujours le même chemin pour aller des « nids » au coin repas. Alors ils ont mis des feuilles séchées tout le long de leur itinéraire. Ainsi, lorsqu’ils récoltent cet humus pour l’utiliser au jardin, il est enrichi en matière fécale et constitue un engrais très riche.

La question de l’eau :

La baissière* est un fossé creusé le long des courbes de niveau qui freine l’érosion du sol et limite le ruissellement de l’eau pluviale. Cette dernière est retenue dans la rigole et s’infiltre ensuite durablement dans la terre permettant une irrigation en profondeur des cultures situées en aval. À l’Arbre de vie, les buttes accueillant les cultures ont été dessinées parallèlement à la baissière (et donc perpendiculaire à la pente). Pour couronner le tout, l’eau est retenue dans les passe-pieds par la matière organique qui y est déposée (déchets des plantes récoltées, herbes coupées). Cette méthode est très utile dans des climats connaissant une période aride dans l’année. Elle est aussi très recommandée sur des terrains en pente pour retarder leur érosion.

Le désherbage ou l’art du nettoyage :

La nature est pleine de bon sens et les herbes ont leur rôle à jouer là où elles se sont développées. En premier lieu, elles effectuent un travail de décompactage du sol et participent au développement de la biodiversité par leur variété. Ensuite, on n’arrache plus ces herbes que l’on qualifie de « mauvaises », entre autres, parce qu’elles menacent les plantes en se reproduisant trop vite. Au lieu de cela, on les coupe à la base pour ensuite les laisser couchées sur place – cas excepté des vivaces ou des graminées, comme les orties par exemple qui abondent et nécessitent d’être neutralisées. Bonne nouvelle, les orties ont mille et une applications bénéfiques pour l’homme (vertus diurétiques, comestibles en soupe, en infusion, etc.) et pour le jardin (apport de matière organique dans les passe-pied et purin). Ainsi, elles ne seront pas ôtées du sol en vain.

En pourrissant là où elles ont été coupées, ces herbes enrichiront la terre qui, à son tour, sera gorgée de nutriments dont les plantes se nourriront. En plus, grâce à cette méthode, on protège le sol de la sècheresse estivale en maintenant l’humidité. En outre, en déposant ces herbes de cette manière, on évite la repousse des prochaines qui seront étouffées sous leurs prédécesseurs et leurs racines laissées en terre finiront par se décomposer. En respectant la vie souterraine des plantes, on favorise l’apparition de champignons (mycorhiziens**) essentiels à la nutrition des plantes cultivées par le biais des radicelles.

Ce « nettoyage » des cultures est également un moyen d’économiser son énergie qui peut vite être dépensée lorsque l’on jardine. Ainsi, finies les douleurs aux lombaires et finis les allers retours incessants pour vider les brouettes d’herbe.

J’ai découvert une autre astuce pour préparer une terre à être cultivée. Il s’agit de poser un revêtement occultant sur une parcelle à désherber. Les herbes mourront par absence de soleil et se décomposeront et alors un travail de compost se mettra en place, notamment par l’action des vers de terre. On peut utiliser une bâche noire (certes, c’est du plastique, mais quand on sait que les agriculteurs en jettent chaque année, autant les récupérer pour une seconde vie), un tapis ou encore une tôle.

Le coin des prédateurs et des nuisibles :

Pour lutter contre les mulots, plantez du ricin ! Cultivée principalement pour son huile et comme ornementation, cette plante repousse les rongeurs ainsi que les doryphores. C’est la présence d’une protéine appelée ricine qui rend la plante toxique pour les animaux et les hommes. Donc à manipuler avec précaution.

Pour se débarrasser des limaces, disposez des tas de bois à différents endroits du jardin pour attirer les hérissons qui en feront un festin. Le paillage des cultures servira également à abriter des orvets qui raffolent également de ces loches. On peut aussi choisir d’ôter le paillage durant le printemps car c’est à cette période que les limaces prolifèrent puisqu’elles apprécient l’humidité. Une couche de paille, accompagnée ou non de feuilles ou d’herbes, sera ensuite à reposer pour affronter l’aridité de l’été.




Nous sommes parvenus à hisser les voiles malgré le profond ancrage affectif qui nous attachait à ce lieu. Le départ n'a pas été simple certes, mais nous reprenons la route le cœur léger, avec la conviction qu'elle nous mènera à nouveau à la Garenne.







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